Vive le vin

Les vacances approchent et avec elles, la possibilité de découvrir de nouveaux espaces de restauration – ou de profiter d’une moindre affluence pour revisiter ceux que nous apprécions. Cette nouvelle parution s’accompagne d’une dizaine de fiches supplémentaires et d’une mise à jour qui toutes, confirment la façon de procéder de notre Académie : pas de jugement péremptoire et définitif alimenté par notes de frais sur un restaurant ou son chef, mais le ressenti personnel d’un repas récent financé sur propres deniers. Les résultats méritent parfois qu’on s’y attarde.

Et puis pour cette nouvelle livraison, une grande nouveauté : la présentation subtile et honnête, superbement documentée et incontournable pour tout amateur qui se respecte des Primeurs en Bordeaux 2021. Notre confrère l’Académicien Curnonski nous régale de sa prose : à consommer sans modération !

Bordeaux 2021 : du bon, du beau, du benêt

En 2021, la profession viticole bordelaise réussit l’exploit de faire le pire et le meilleur, le tout dans un millésime qui propose un équilibre intéressant, après une climatologie compliquée.

On nous bassine les oreilles à longueur de media1 avec le réchauffement climatique, qui reste cependant inférieur à celui du XIIIème siècle2, où la population n’avait pas disparu, mais s’était accrue. 2021, frais et pluvieux, était donc l’occasion de retrouver des équilibres de millésime « normal », voire moyen, avec toute l’aide que l’œnologie moderne peut apporter, et en faire un bon millésime classique : c’est ce qu’ont fait les meilleures propriétés, par ailleurs tout autant en conventionnel qu’en bio ou biodynamie.

À l’opposé, et souvent sur la rive droite de la Gironde, certains producteurs mal avisés ont voulu en faire un millésime dans la continuité de 2019 et 2020, un château célèbre de Pomerol nous affirmant sans rire que l’avenir était à lisser les millésimes, comme le champagne ! Cette affirmation maladroite fait certainement partie des secrets espoirs de la profession, mais c’est bien là le problème : elle aurait dû rester secrète ! L’un des plaisirs du vin, c’est la difficulté, l’infinité des possibles, un millésime qui n’est bon qu’à Saint-Estèphe (1979) ou qu’à Margaux (1983) ou qu’en Sauternes (1967, 1976), ou un millésime qui n’est bon que dans un ou deux châteaux (1987 à Cos-d’Estournel, 1984 à Pape-Clément et Domaine de Chevalier, etc.). Où serait le plaisir sans la joie de la difficulté vaincue ? Et quel serait l’intérêt de commenter chaque année les primeurs ?

Ce préambule terminé, et en attendant ce bel avenir aseptisé, parlons de 2021.

Bon millésime frais, difficile pour le vigneron, classique dans ses équilibres, aux tannins fins, au degré d’alcool revenu à la normale (ce qui n’a pas empêché certains de chaptaliser, il y a des coups de douelle qui se perdent), dans la mouvance de la diminution des taux de fûts neufs, avec des parfums affirmés et agréables.

Le cycle végétatif des Merlot a malheureusement été incompatible avec le climat de l’année, et on retrouve cet écueil dans toute la rive droite, avec peu de réussites franches (Figeac, Rouget, Jean-Faure, Certan de May, Clos René, Chapelle d’Ausone…) et des bons vins (Beau-Séjour-Bécot, Cheval-Blanc, Clos-Fourtet, Canon, Pavie, Petit-Village, Quinault-L’Enclos) qui seront malheureusement trop chers pour la plupart. Les autres sont décevants, avec des mentions particulières pour La Gaffelière, Valandraud, Clinet, La Conseillante, qui ne sont pas à leur niveau supposé.

Par effet miroir, les Médoc et les Graves de Pessac-Léognan, royaume du Cabernet-Sauvignon, nous offrent une belle palette de réussites. Passons rapidement sur les blancs qui offrent une seconde année consécutive très réussie, et au prix actuel du Bourgogne il va falloir s’y intéresser à nouveau ! Grande année de blanc sec, donc, en particulier Chevalier, Carbonnieux, Malartic-Lagravière, Fieuzal, Smith-Haut-Lafitte, et bonne année de Sauternes (comme 2020) notamment Fargues et Rayne-Vigneau, ainsi que Doisy-Daëne, mais dans des quantités infimes.

Les rouges sont d’autant plus intéressants qu’il n’y a pas d’homogénéité dans chaque appellation, à l’exception des Graves et des Saint-Julien. Évacuons donc ces deux appellations en premier : grande réussite pour Saint-Julien, partout, chez tout le monde, bravo et rien à ajouter, on peut acheter les yeux fermés. Une petite perle pas trop chère : Langoa-Barton.

Pour les Graves, les seigneurs font le job (Haut-Brion et Mission) et les satellites aussi (Les Carmes-Haut-Brion, Pape-Clément) mais Léognan n’est pas en reste avec un superbe Haut-Bailly, un Olivier remarquable, un Smith-Haut-Lafitte de grande classe ! Peu de ratés, si ce n’est Larrivet-Haut-Brion et Latour-Martillac.

La partie la plus intéressante de la dégustation arrive enfin : les trois appellations restantes du Médoc, Margaux, Pauillac et Saint-Estèphe.

La première, diversifiée par nature, n’a pas livré un très beau récital, mais on peut y distinguer Château Margaux, Durfort-Vivens, Giscours, d’Issan, Kirwan, Malescot-St-Exupéry, et c’est tout. Une grosse déception avec Palmer, Rauzan-Ségla, et sans déception car sans surprise de médiocres du Tertre, Dauzac, Lascombes, Rauzan-Gassies.

Dans le petit bled de Pauillac, habituellement très homogène, on note de gros écarts entre les plus réussis (Latour, Pontet-Canet, Pichon-Baron) et les plus ratés (Batailley, Lynch-Bages) en passant par toutes les notes possibles : de bonnes cuvées (Armailhacq, Grand-Puy-Lacoste, Duhart-Milon et Clerc-Milon, Pichon-Comtesse), des bonnes sans plus pour leur niveau de prix (Mouton-Rothschild, Lafite-Rothschild), et des moyennes (Croizet-Bages, Haut-Bages-Libéral, Grand-Puy-Ducasse…). Mieux vaut se concentrer sur le top !

Et pour finir, le petit village du bout du Médoc, Saint-Estèphe, qui nous déçoit rarement, n’a pas été visiblement chéri des Dieux cette année. On valide Montrose et Calon-Ségur on dit bravo à Pez et Meyney (pour le rapport qualité-prix) et on ne félicite pas Cos-d’Estournel, Lafon-Rochet, Phélan-Ségur, Cos-Labory, Les Ormes de Pez… Cos d’Estournel en particulier, avec une gamme étendue de blancs et de rouges, nous déçoit à chaque cuvée et c’est un bel exploit !

Pour finir sur une note positive à l’intention des petites bourses et des gros buveurs, le Haut-Médoc a sorti quelques vins qui méritent qu’on en emplisse sa cave. Les châteaux sont trop nombreux pour être tous cités mais on pourra vraiment acheter, pour des prix ridicules, Branas-Grand-Poujeaux, Cantemerle, Fourcas-Hosten et Fourcas-Dupré, Lamarque…

Curnonski

1 Pluriel de medium, media ne prend jamais de « s », contrairement à ce qu’on lit dans les media.
2 Lire l’excellent livre de Leroy-Ladurie (Le climat depuis l’an mil).

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