« En matière de vin, il faut savoir faire passer le plaisir avant le prestige ».
Paul Claudel
L’été nous invite tout naturellement à épancher notre soif. Une fois encore, nos regards se tourneront vers les vins rosés, dont le succès ne faiblit pas années après années. Que penser pourtant de ces breuvages dont certains ont accompli un véritable saut en qualité mais pour atteindre des prix qui frôlent parfois le grotesque. Alors que je m’étonnais auprès d’un producteur provençal de ce qu’à l’ancienne trilogie ‘entrée de gamme-cuvée supérieure-grande cuvée’ à 10€, 16€ et 25€ respectivement, s’en était substituée une nouvelle à 18€, 30€ et 45€ respectivement, il me répondait : « Vous avez vu le nombre de gens qui achètent à ces prix-là ? Ils font la queue au domaine ! ». L’évocation d’un Condrieu à 29€ la bouteille de chez Agnès Levet ne provoquant de sa part qu’un haussement d’épaule (après m’avoir néanmoins demandé de lui en donner les coordonnées !).
Les amateurs de vin l’auront constaté : les prix explosent depuis quelques mois, et pas seulement en Bourgogne qui en la matière, est en passe de détrôner le culot historique des Bordelais… Même les vins de Loire s’y mettent, ainsi qu’en Côte du Rhône où quelques vignerons gardent néanmoins encore la tête sur les épaules. D’où l’intérêt de vous signaler, dans les côtes catalanes, ce remarquable Clos des Fées d’Hervé Bizeuil qui a décidé pour ses primeurs 2022 de garder ses tarifs inchangés. Un effort à supporter !
Mais le mois de juin, c’est aussi la période où revenir sur les primeurs 2022 en Bordeaux et l’admirable analyse qu’en fait notre confrère Curnonski, que je vous livre ci-dessous sans plus attendre. Le propos est clair voire tranchant, donc apprécié à sa juste valeur.
2022 : pour une fois, un « millésime du siècle » qui mérite son nom !
Les miracles arrivent donc parfois, lorsque les viticulteurs disent aussi la vérité, même si cela reste exceptionnel. On aime 2022 pour sa puissance attendue, pour ses équilibres étonnants, pour sa puissance tannique fantastique. On aime 2022 pour son potentiel de garde qui nous rappelle les grands millésimes de 1945, 1947 ou 1961. On n’aimera pas forcément les prix de 2022, mais nous, les clients français consommateurs, nous n’intéressons plus beaucoup ces messieurs des châteaux, grands industriels spécialistes des « marques » de luxe, qui préfèrent l’export et les voyages à l’étranger, loin de bobonne. C’est d’ailleurs vrai pour le Bourgogne aussi.
Oublions les blancs secs, qui n’ont guère d’intérêt cette année, sauf Mission-Haut-Brion, et les Sauternes, magnifiques, mais qu’il vaudra mieux acheter déjà vieillis dans quelques années, et parlons des vraies réussites : la rive droite livre une série exceptionnelle de vins réussis, notamment Pomerol avec beaucoup de grands vins et de bons petits bien réussis, Saint-Émilion toujours plus hétérogène a produit néanmoins de grands vins dans toutes les catégories de prix.
Le Médoc n’est pas en reste avec une appellation Saint-Estèphe en grande forme, Margaux aussi, Pauillac et Saint-Julien plus variable, et enfin des Pessac-Léognan de toute beauté, sans oublier Listrac et Moulis qui n’ont sans doute jamais fait mieux.
On n’hésitera donc pas à acheter 2022, notamment les propriétés de second ordre qui ont produit de très belles réussites, souvent les vins les plus mémorables de leur existence : Kirwan, Prieuré-Lichine, Potensac, Coufran, Bellefont-Belcier, Larmande, Ripeau, Poujeaux, Fourcas-Hosten, sans compter toutes celles qui font de très bons vins. Mais il est rare de pouvoir citer autant de propriétés ayant fait leur plus grand vin la même année !
Pour les grands, on achètera, si on gagne à l’Euromillions cette semaine, de préférence Figeac, Pavie, Haut-Brion, Mission, Lafite-Rothschild. Pour les petits grands, Léoville-Las-Cases, Gruaud-Larose, Clos-Fourtet, Canon, Pichon-Comtesse, Montrose, Calon-Ségur… On notera que le classement des Saint-Émilion n’a vraiment plus de lien avec la qualité des vins, avec un Valandraud minable, mais en revanche un très beau Pavie et un magnifique Figeac : les premiers A, A peu près et Abolis tiennent la route, sauf Angélus qui n’ose plus se montrer depuis qu’ils font du bio.
Autres recommandations d’achat, dans des catégories plus intermédiaires, et en vrac : Langoa-Barton, Branaire-Ducru, Picque-Caillou, Lafon-Rochet, Haut-Bailly, Le Clarence de Haut-Brion, Clos René, Fonréaud.
On attend avec impatience et appréhension les prix, qui devraient bourguignonner* cette année !
*Bourguignonner : augmenter les prix de façon déraisonnable en se moquant du consommateur français qui vous a fait vivre depuis 150 ans.
Curnonski
Profitez de vos vacances et saisissez l’occasion de jeter un œil à ces 7 nouvelles mises à jour que nous diffusons dans cette livraison, ainsi que 10 nouvelles adresses.
Dans l’attente de vous retrouver en pleine forme cet automne !
Luc Debieuvre, Président