ÉDITORIAL DU PRÉSIDENT
Ce dernier éditorial avant la parenthèse estivale pouvait sembler prématuré. Pas si vous habitez Paris et que vous ayez eu l’intention, au cours des prochaines semaines, de traverser la Seine ou de fréquenter un local situé en zone rouge. On n’a pas encore très bien compris comment allaient fonctionner les établissements concernés (il paraît que la Mairie suggère le chômage technique – qu’elle compensera, elle en a bien sûr les moyens). Mais nous avons en revanche déjà compris qu’avant l’exode inéluctable qui s’annonçait, chacun aurait intérêt à jouer la carte de la proximité !
En attendant, il faut bien dire un mot du Michelin, sorti le mois dernier. Un guide que tout le monde critique (non sans raison) tout en l’attendant comme le Messie.
A Paris, le guide est d’un intérêt relativement secondaire puisqu’il semble de moins en moins consulté. Une raison à cela tient à ce que personne ne comprend plus selon quels critères les étoiles sont distribuées. Retenez donc qu’il y a un nouveau 3 étoiles, le Gabriel à l’hôtel La Réserve, que le chef Jérôme Banctel avait anticipées dans sa tarification depuis belle lurette ; et que d’autres 3 étoiles sont maintenues à des établissements qui ne les méritent plus – mais vous savez lesquels. Quant au Bristol de l’excellent Eric Fréchon, il garde ses 3 étoiles : logique, puisqu’il a annoncé son départ. Pour les autres étoilés, impossible de savoir pourquoi certains sont primés et d’autres pas : voyez par vous-même et que les heureux gagnants en profitent ! Une anecdote à ce titre concernant le nouvellement primé ‘Hémicycle’ à l’Assemblée Nationale : un menu organisé pour une table de dix la semaine précédant la sortie du guide voyait son prix augmenter de 20% pour le déjeuner qui avait lieu la semaine suivante (tout en réduisant parallèlement la prestation). Ce restaurateur a tout compris. Nous aussi.
En province, où le guide peut se révéler plus utile, retenez aussi qu’il est possible à un restaurant d’obtenir 3 étoiles (La Table du Castellet) alors que le chef Fabien Ferré (35 ans) vient d’arriver ; et que certaines absences demeurent toujours incompréhensibles (l’Hôtel Beau Rivage à Condrieu par exemple). Bref, inutile de s’étendre davantage.
Autre grande nouveauté Michelin, la mise en valeur des femmes chefs. Il paraît qu’elles existent. A découvrir ce scoop, les ‘mères’ lyonnaises vont s’en retourner dans leur tombe.
Autrement dit, si vous cherchez un bon guide, tapez plutôt du côté du Guide Lebey (et de sa lettre hebdomadaire, toujours intéressante et que l’on peut recevoir gratuitement avec le magazine EnMagnum de Bettane et Desseauve – « p-y.chupin@lebey.com ».
Avant de conclure, un mot rapide sur une adresse découverte très récemment et qui fera l’objet d’une fiche dans une prochaine livraison. Mais nous ne résistons pas à l’envie de vous signaler dès à présent le restaurant Gill, 8 et 9 quai de la Bourse à Rouen (02 35 71 16 14). Rouen me direz-vous ? C’est à 1h20 en train de Paris et cela vous coûtera 16€ – plutôt moins que pour traverser la Seine en prenant un taxi à Paris. En échange, vous serez traité comme un roi autour d’une cuisine alliant parfaitement les saveurs terre-mer et proposant des combinaisons ‘mets-vins’ percutantes et passionnantes. Une adresse à fréquenter de toute urgence !
Et pour conclure maintenant, un dernier mot sur le vin. Tout d’abord, tout ce buzz qui accompagne l’émergence des vins sans alcools. Ils seraient l’avenir de la gastronomie et à en croire certains commentateurs, ils évinceraient sans problème les gloires actuelles. Soit. On prend les inscriptions pour une dégustation à l’aveugle.
Mais pour en revenir à des choses plus sérieuses, je vous propose plus tôt de lire ci-dessous le commentaire de notre Académicien Curnonski sur les vins de Bordeaux en primeurs 2023. Comme toujours, vous ne serez pas déçu de ses réflexions et conseils honnêtes sur la réalité des choses. Et cela vous aiguisera vos papilles avant de vous lancer à la découverte de la nouvelle sélection d’adresses que nous vous proposons dans cette édition.
Joyeux Jeux Olympiques !
Luc Debieuvre, Président
Bordeaux 2023 : quel est le projet ?
Le soupir de soulagement de la majorité des producteurs à la sortie des vendanges ne parvient pas à masquer leur inquiétude pour la campagne en cours : qui achètera encore des primeurs en 2024 ?
Un millésime de qualité miraculeuse, dans le sens où il était mal parti, mais de qualité moyenne à pas mal, sans atteindre les sommets de 2022, malgré les efforts coutumiers de la profession pour transformer l’ivraie en ivresse : « Oui, 2022 c’était chaud ; 2023 est un millésime plus typique bordelais… ». La vérité, c’est que le millésime ne restera pas dans les annales, mais que les bons ont fait bon, les moyens ont fait assez bon, et les petits ont fait très variable.
La précision des vinifications, devenue à la portée de bourse de toutes les propriétés d’une certaine envergure, donne des vins ciselés, très plaisants à boire, mais qui pourraient manquer de relief et en tout cas de différenciation.
Si l’on doit résumer le millésime d’un mot, comme se sont acharnées à la faire toutes les propriétés, alors il faudrait le qualifier de Macronien : ni totalement rive droite, ni totalement rive gauche, ni réussi ni raté, ni grand ni petit, le millésime 2023 devrait connaître en 2024 une grosse désillusion (commerciale), sans avoir vraiment démérité.
En effet, la baisse des prix annoncée et déjà visible ne réveille pas l’enthousiasme des acheteurs : pourquoi acheter un 2023 alors qu’on trouve au même prix des 2011, 2012 ou 2014, sensiblement équivalents en termes de qualité, et prêts à boire dès maintenant ?
Les premiers crus au rendez-vous !
La mécanique de précision des premiers crus, en Médoc comme à Saint-Émilion, aidée par un matériel de pointe renouvelé, leur a permis de maintenir leur statut. Mais les prix étant hors de portée du commun des mortels, on se consolera avec les suiveurs. Voici donc une sélection non exhaustive et non objective des vins de l’année :
Groupe 1 (très réussi) :
La Conseillante
Ausone
Angélus
Cheval-Blanc
Latour
Margaux
Léoville-Poyferré
Gruaud-Larose
Les Carmes Haut-Brion
Groupe 2 (réussi) :
Vieux Château Certan
Figeac
Canon
Jean-Faure
Quinault-L’Enclos
Calon-Ségur
Mouton-Rothschild
Lafite-Rothschild
Pichon-Baron
Armailhac
Clerc-Milon
Grand Puy Ducasse
Lynch-Moussas
Pontet-Canet
Malescot-St-Exupéry
Palmer
Siran
Haut-Bailly
Chevalier
Olivier
Pape-Clément
Smith-Haut-Lafitte
Camensac
Groupe 3 (moyen) :
L’Église-Clinet
Pez
Pichon-Comtesse
Rauzan-Ségla
Groupe 4 (décevant) :
Cos-d’Estournel
Les Ormes de Pez
Phélan-Ségur
Lynch-Bages
On pourra donc se passer du 2023 dans sa cave personnelle, mais on observera attentivement les cartes de restaurant dans quelques années (ceux qui ne pratiquent pas le stupide « Bordeaux bashing ») pour retrouver avec joie ce millésime très agréable.
Curnonski